Léona monte son petit restaurant

par Gérard

Le problème.
Léona est l’une de nos cuisinières de l’Ecole Fraternité, à Cité Soleil.
Or , désormais, la cantine ne marchera, provisoirement, qu’en début de semaine, faute de crédits. Léona ne travaillera donc bientôt que 3 jours par semaine. (faire les courses, confectionner et servir les repas)
Il est difficile de couper un salaire en deux, soudainement, pour une femme qui travaille avec nous depuis des années, avec beaucoup de sérieux et de dévouement, et qui a du mal à boucler son budget.
Léona mérite d’autre part d’avancer dans la vie, elle est dynamique, et c’est une bonne cuisinière.
Elle vit seule avec deux grands enfants : Likenda, qui étudie la comptabilité et Jérémie (Wilglay) qui est en troisième année d’une école d’ingénieurs en Génie civil.
Avec Léona, nous cherchions un lieu pour qu’elle puisse vendre des ships, qu’elle fabrique avec des pommes de terre ou des bananes à cuire, voire des plats qu’elle aurait préparés chez elle. Les jours où elle ne travaille pas à Cité Soleil, elle a cette activité qui lui procure un petit complément de salaire, mais nulle part où s’installer.
Mettre un étal sur les trottoirs est désormais interdit par la Municipalité. Nous cherchions donc un lieu, un renfoncement où elle pourrait mener son activité.
C’est difficile à trouver, il n’y a pas de sécurité et pas beaucoup de possibilité pour une installation qui tienne compte des règles d’hygiène.

Léona ( à gauche) et Gloria, dans la cuisine de l’Ecole Fraternité à Cité Soleil.
Les femmes à Haïti, ont une vie très difficile. Violences, viols, souvent abandonnées, mères de nombreux enfants, et trop souvent seules pour les élever, elles sont souvent, travailleuses infatigables, la seule ressource de la famille pour survivre.
Elles ont l’âme et les bras de ce pays qui ne leur donne pas toujours la place qu’elles méritent.
Léona habite un petit logement de deux pièces, dans une rue passante de Carrefour Feuille, un peu en retrait de la rue, avec un passage particulier jusqu’à ce logement.
Devant ce logement, il y a un petit local de quatre pièces qui était jusqu’à maintenant utilisé comme entrepôt et qui est à louer !
Léona, si elle a pu rêver un jour d’avoir un petit restaurant à elle, n’a sans doute jamais cru vraiment que c’était possible.
Lors de mon séjour, j’ai parlé avec Léona des possibilités pour le futur. Et c’est à ce moment que j’ai vu que dans ce local attenant à son logement donnant sur la rue ; il y avait quatre petites pièces. Si le propriétaire acceptait de lui en louer deux, qui communiquent justement avec son logement, l’idée est venue qu’elle pourrait y créer son petit restaurant. Ce local est bien sécurisé, il communique avec la cour où est la cuisine !

Un rêve qui va se réaliser.
Le propriétaire a accepté de séparer les 4 pièces en deux fois deux pièces. Elles sont faciles à aménager. Jérémie, son fils, va les repeindre, il suffit alors de quelques chaises et tables et de beaucoup de travail et d’organisation. Pour la cuisine, Léona n’a pas de soucis. Mais elle n’a aucun fond pour débuter.

Gérer un restaurant populaire, même petit, exige de tenir une comptabilité. Or, Likenda, la grande fille de Léona, est titulaire d’un diplôme de comptabilité. De plus elle n’a cours que les après-midi. Elle a accepté, contractuellement, de tenir la comptabilité du restaurant. Un compte en banque a été ouvert pour y voir clair dans les comptes.
J’ai donc proposé à Léona de l’aider pour qu’elle puisse se lancer.
Le Loyer sera de 750 € par an. Mais il faut aussi un fonds pour aménager la local, acheter les tables, les chaises, les toiles cirées, ustensiles, assiettes etc…
Notre association a accepté en urgence de débloquer 1000 € pour que tout cela puisse se mettre en place. Il fallait aller vite, car le propriétaire ne garantissait pas la location s’il avait trouvé un autre candidat.
Dans ces 1000 € il y a un prêt de 500 € et une aide au démarrage de 500 €.
Le prêt sera remboursé à partir de mai 2014, par une retenue sur salaire. ( la moitié seulement de son salaire sera versée à partir de cette date.)
D’autres avantages nous font penser que ce projet va réussir : il n’y a plus dans la rue, de ces petits restaurants ambulants, car la mairie les interdit et confisque le matériel des cuisinières. Léona sera donc seule.
Il y a juste en face, une station de taxis tap tap, ils travaillent toute la journée et mangent des repas dans des petits restaurants de ce type.
Il restera à calculer les prix en fonction de ceux qui sont pratiqués dans les établissements du même type, calculer la rentabilité… et faire de la bonne cuisine !
Le restaurant sera déclaré auprès des autorités, mais les taxes ne sont pas très élevées. Une amie cuisinière viendra la seconder quand elle sera à Cité Soleil. (l’autre rescapée de l’effondrement du restaurant où elles travaillaient toutes les deux.)
Une création d’emploi.
Non seulement Léona pourra sans doute exercer son nouveau métier à plein temps dans un ou deux ans, mais elle créera un emploi pour une autre cuisinière, ce qui est appréciable dans le contexte haïtien où l’emploi est une priorité.
Beaucoup d’espoir.
J’ai raconté cette petite histoire car elle est exemplaire de ce que peut faire une petite association qui connaît bien le terrain et vit près des gens les plus pauvres. Lorsque nous avons embauché Léona, elle travaillait dans un restaurant de la ville, aujourd’hui totalement détruit pas le séisme, elle gagnait très mal sa vie et les conditions de travail étaient très dures. Elle allait être licenciée faute de clients. Sans aucune indemnité et sans aucun ménagement. C’est à cette époque que nous l’avons embauchée pour la cantine de l’Ecole Fraternité. Cela lui a sauvé la vie, car presque tous les employés du restaurant sont morts dans le séisme.
En Haïti, si l’on écoute les gens, si on prend le temps de comprendre leur vie et si on connaît leurs possibilités, une aide efficace, même si elle est modeste, peut être mise en œuvre.
Haïti est un pays plein de gens de cette sorte : Léona ne sait pas écrire, cependant, seule, à force de sacrifices et de courage, elle a réussi à amener ses deux enfants jusqu’au bout de leurs études supérieures. Jérémie sera ingénieur,( il est aidé par un parrain d’Enfants-Soleil), Likenda sera comptable.
Pour ce qui est de Léona, nous sommes certains qu’elle réussira. Quand je lui ai dit que nous allions écrire sur la devanture « Restaurant Chez Léona » en grosses lettres, elle cachait son visage pour ne pas montrer une petite larme.
Si vous allez à Haiti, vous pourrez aller déjeuner dans le restaurant « Chez Léona… » dans quelques semaines.
Une grande part du mérite en reviendra à toutes les personnes qui nous font confiance et nous apportent leur soutien.